Fiche descriptive
Provenance :
Collection Stefano Conti, Lucques, jusqu’en 1768 (avec son pendant Hermine).
Notre tableau est très probablement le chef-d’œuvre de la période parisienne de Paolo de Matteis, peintre napolitain, figure de renommée internationale de la fin de la période baroque.
Paolo de Matteis, originaire de Salerne, se forme dans l’atelier de Luca Giordano à Naples. Durant son apprentissage, il se nourrit des leçons des artistes de son temps : Luca Giordano, Francesco Solimena et leurs innombrables collaborateurs.
Très vite, de Matteis développe un style personnel mêlant dynamisme baroque, raffinement coloré et la grâce nouvelle annonciatrice des sensibilités plus légères de son temps. Il insuffle à ses compositions une intensité dramatique et une élégance théâtrale tout en explorant la lumière, le mouvement et l’émotion.
L’artiste quitte Naples pour Paris en 1702 à l’invitation du Régent et d’un courtisan de la cour (voir Bernardo De Dominici, Le Vite de’ pittori, scultori ed architetti napoletani, Naples 1742). Le séjour parisien du peintre (1702 – 1705) a été étudié pour la première fois par Arnaud Brejon Lavergnée (voir A. Brejon de Lavergnée, « Plaidoyer pour un peintre de « pratique » : le séjour de Paolo de Matteis en France (1702-1705) », in La Revue de l’art, 1990, n° 88). Il représente un moment marquant dans la carrière de l’artiste : il se voit confier des commandes prestigieuses au contact d’artistes italiens et français, dans une atmosphère de transition stylistique du baroque vers un style plus élégant, pré-rococo. Le séjour de de Matteis annonce une vague plus vaste d’artistes italiens à Paris. Bien avant l’arrivée de Sebastiano Ricci, Rosalba Carriera ou Pellegrini, encore sous le règne de Louis XIV, de Matteis amorce le rococo à Paris et pose les jalons de la génération de Lemoyne et Boucher. Parmi ses mécènes les plus éminents on peut nommer Antoine Crozat, futur protecteur de Antoine Watteau, le marquis de Clérembaut et le duc d’Orléans. En plus des décors dans les palais et galeries parisiens, De Matteis réalise également la voûte du couvent royal des Augustins (disparu). En reconnaissance de son refus d’accepter un paiement pour cette œuvre, lui, son épouse et leurs huit enfants reçoivent le titre de membres honoraires de l’ordre (voir A. Brejon de Lavergnée, idem, pp. 70 -71). La seule œuvre de la période parisienne à avoir été conservée est le Saint Léon devant Attila peint à la demande de Léon Potier, duc de Gesvres et installé au dessus de l’autel de la chapelle du couvent des Célestins, rebaptisée en l’honneur de ce saint.
Pendant le séjour parisien, son art s’enrichit de la tradition académique française héritée de Le Brun, avec une palette plus raffinée et un dessin plus élégant.
À son retour à Naples en 1705, l’artiste conserve l’influence parisienne dans ses œuvres qui sont désormais teintées d’une sensibilité raffinée et d’une mise en scène plus organisée, reflet de l’élégance apprise dans la capitale française.
Nous retrouvons dans notre toile, cette palette de couleurs vives, une composition élégante et dynamique et un sens raffiné du mouvement où le sacré et le mythologique se fondent naturellement. Les nus masculins de notre tableau, les démons en mouvement, aux tonalités chaudes rappellent ceux de la Mort d’Adonis ou de l’Enlèvement de Proserpine, fresques peintes par Giordano au Palais Medici Riccardi (1682-1685) alors que les couleurs clairs, jaune citron, camaïeu de bleus, de la figure de l’enchanteresse sont la marque du séjour parisien.
Le sujet de notre tableau est l’enchanteresse Armide, un des personnages de la Jérusalem Délivrée (1580) du Tasse. Lully dédie un opéra (1686) à cette magicienne « sarrasine », fille de Hidraot, roi de Damas, envoyée pour capturer les plus grands paladins croisés et tuer le chevalier chrétien Renaud. Elle tombe amoureuse et enferme le chevalier dans un jardin fabuleux où elle l’envoûte de ses délices. Dans la version de l’opéra de Lully, Renaud est délivré et recouvre la mémoire en se regardant dans un miroir ; Armide comprend alors qu’il ne l’aimait que par magie.
Sous le coup du chagrin et de la rancœur, Armide détruit alors le Palais onirique qu’elle avait créé pour ses amours avec le chevalier et s’enfuit sur un chariot volant.
Dans le dernier chant du Tasse, après sa défaite, alors qu’elle va se suicider, Renaud la sauve et lui avoue finalement son amour, à condition qu’elle se convertisse.
La scène de notre tableau est extraite du dernier Acte du livret mis en musique par Lully :
L’espoir de la vangeance est le seul qui me reste.
Fuyez, plaisirs, fuyez, perdez tous vos attraits.
Démons, détruisez ce palais.
Partons, et s’il se peut, que mon amour funeste demeure enseveli dans ces lieux pour jamais.
Rares sont les représentations de ce sujet, Charles Antoine Coypel le traita tôt dans sa carrière (Armide ou une autre enchanteresse, tableau disparu connu par la gravure de Nicolas Henry Tardieu illustrant une fable de 1719), puis en 1737 dans un tableau aujourd’hui conservé au musée des Beaux-Arts de Nancy (La destruction du palais d’Armide, toile, 334 x 633 cm ).
Nous rapprochons notre tableau de l’Allégorie de la nuit conservée au musée de Quimper ainsi que d’un autre sujet allégorique représentant Saint Michel terrassant le démon (Capri, église saint Etienne).
La mention la plus ancienne de notre œuvre remonte au XVIIIe siècle. Dans l’inventaire de Stefano Conti (1654 – 1739), marchand italien et collectionneur passionné par l’art de ses contemporains, sont cités deux grands tableaux représentants l’un Hermine et l’autre une Armide qui étaient dans la chambre à coucher de ce dernier :
« Due quadri grandi rappresentanti Erminia e l’altro Armida, opera di Paolo de Matteis »
(Archivio di Stato, Lucques, Italie, Archivio Guinigi, 295, f.14, I-1805, p.2, art. 0031b)
Stefano Conti (Lucques, 1654 – Lucques, 1739) est un marchand italien du XVIIIe siècle, fils de Giovanni Conti, milanais établi à Lucques qui y obtient la noblesse dès 1630. Réputé pour sa vaste collection d’artistes contemporains italiens ainsi que pour son activité de mécène, Stefano Conti tient sa fortune du commerce de la soie et du textile. À partir de la cinquantaine, vers 1705, il se consacre avec passion à la constitution d’une collection d’art ambitieuse, préoccupé par la postérité de cette dernière qu’il prit à cœur de décrire et protéger dans un testament secret rédigé en 1739 et aujourd’hui conservé aux Archives notariales de la ville de Lucques (F. Haskell, « Stefano Conti, Patron of Canaletto and others », The Burlington Magazine, XCVIII, septembre 1956, pp. 296).
Parmi les agents de Conti, figure notamment le peintre Alessandro Marchesini (1663 – 1738) spécialiste de la peinture vénitienne. Marchesini jouera un rôle providentiel dans la carrière du jeune Canaletto, en le recommandant au marchand lucquois à la fin des années vingt.
Parfois aidé, parfois agissant en autonomie, il n’est pas rare que Conti traite directement avec les artistes de son temps. Il commande ainsi plusieurs toiles, dont la Vue nord du Grand Canal depuis le Pont du Rialto (1725, toile, 89 x 131 cm, collection particulière. Cf. K Baetjer, JG Links, Canaletto, New York, Met. Museum, 1989 n° 9, p. 90) et entretient des relations directes avec des peintres comme Luca Carlevarijs, Gregorio Lazzarini, Sebastiano Bombelli et Antonio Franchi. Stefano Conti repose dans l’église Santa Maria Corteorlandini de Lucques.
Bien que sa collection soit aujourd’hui dispersée, elle demeure remarquable par la rigueur avec laquelle elle a été constituée : chaque acquisition était soigneusement répertoriée, accompagnée d’une description précise de l’œuvre et du prix payé. Conti insistait par ailleurs pour obtenir des œuvres originales, refusant les copies et les répliques. La famille Conti possédait le palais aujourd’hui Boccella in via Fillungo. (F. Haskell, op. cit., pp. 296-300).
Nous remercions le professeur Nicola Spinosa pour son avis écrit concernant l’attribution et la datation de notre toile et monsieur Chambon pour l’aide dans l’identification du sujet.
Maison de vente
EUVRARD & FABRE
14, rue Cler 75007 Paris
T. +33 1 45 50 50 44
contact@euvrard-fabre.com