Hendrick TER BRUGGHEN (La Haye 1588 – Utrecht 1629)

Esaü vendant son droit d'aînesse

Toile
123 x 162 cm
Manques, soulèvements et restaurations
Sur le châssis deux marques au pochoir 4CD / 714 CS

Estimation

300 000 / 400 000 €

Date et lieu de vente

5 décembre 2024 - Saint Etienne

Fiche descriptive

Provenance :
Collection privée anglaise au début du XXe siècle ;
Déposé chez Christie’s, Londres, le 1er avril 1913 (le tableau n’a pas été jusqu’à la vente) ;
Déposé chez Christie’s, Londres, le 14 juin 1918 (le tableau n’a pas été jusqu’à la vente, nous remercions Tia Ramlakhan de chez Christie’s pour ces deux informations).

 

 

➡️​ Visible à notre bureau jusqu’au 21 novembre

De part et d’autre d’une chandelle trois personnages : à gauche Esaü, le frère, revient de la chasse, un lièvre en bandoulière et ses deux chiens, de l’autre côté Rebecca la mère tient une assiette et son fils Jacob, un plat de lentilles. Tout à droite et comme sorti de la composition, Isaac le père regarde le feu d’une cheminée en se réchauffant. Sur la nappe quelques objets : une serviette et un verre.

Le sujet de notre tableau est tiré de l’Ancien Testament et plus particulièrement du livre de la Genèse (chapitre 25, versets 25 – 34). Isaac, fils d’Abraham, a épousé Rebecca à l’âge de quarante ans.
Il implora le Seigneur en faveur de sa femme car elle était stérile et le Seigneur l’exauça. « Comme ses fils se heurtaient dans son sein, […] elle alla consulter le Seigneur. Le Seigneur lui dit : « deux nations sont dans ton ventre, deux peuples sortiront de tes entrailles : l’un sera plus fort que l’autre et l’ainé servira le cadet ». Quand arriva le jour où elle dut enfanter des jumeaux sortirent de son ventre : le premier était roux, tout couvert de poils comme une fourrure, on lui donna le nom d’Esaü. Après quoi sortit son frère, la main agrippée au talon d’Esaü, on lui donna le nom de Jacob, autrement dit « il talonne ». Les garçons grandirent, Esaü devint un chasseur habile, un homme des champs ; Jacob était un homme délicat demeurant sous les tentes. Isaac préférait Esaü car il appréciait le gibier mais Rebecca préférait Jacob. Un jour Jacob préparait un plat quand Esaü revint des champs épuisé. Esaü dit à Jacob : « Laisse-moi, je te prie, manger de ce roux, de ce roux-là, car je suis fatigué », Jacob lui dit : « vends-moi maintenant ton droit d’ainesse », Esaü répondit : « à quoi bon mon droit d’ainesse, je suis en train de mourir » Jacob reprit « jure le moi maintenant », Esaü jura et vendit son droit d’ainesse à Jacob, alors Jacob donna à Esaü du pain et un plat de lentilles. Celui-ci mangea et but puis se leva et s’en alla. C’est ainsi qu’Esaü montra du mépris pour le droit d’ainesse.

Ce sujet biblique permet un dialogue expressif et silencieux entre les deux frères, souligné subtilement par les jeux de lumières créés par la chandelle. Rare au XVIe siècle (on parlera plus bas du tableau de Jacopo Bassano), il est fréquemment traité au XVIIe siècle, surtout à Gênes (notamment par Giovanni Andrea de Ferrari et Assereto), en France par Michel Corneille et aux Pays-Bas par Paulus Moreelse en 1609 et par Mathias Stomer dont deux versions sont conservées à l’Ermitage et au musée de Berlin (voir B. Nicolson, Caravagism in Europe, Oxford, 1969, reproduits tome III, fig. 1490 et 1535).

Hendrick Ter Brugghen est probablement né à La Haye en 1588. Elève de Abraham Bloemaert à Utrecht, il part à Rome vers 1607 afin de parfaire son apprentissage. Il y découvre les peintures du Caravage, d’Orazio Gentileschi, de Bartolomeo Manfredi, et surtout de Carlo Saraceni. Vers 1614 il revient à Utrecht où il s’associera par la suite à Dirck van Baburen. De religion protestante d’après les archives, Ter Brugghen n’était pour autant pas hostile aux sujets catholiques. De son début de carrière nous ne connaissons malheureusement rien et seules les œuvres réalisées après son retour de Rome sont connues. Sa première œuvre datée et acceptée unanimement est l’Adoration des Mages réalisée en 1619 et conservée au Rijksmuseum (voir L. J. Slatkes et W. Franits, The paintings of Hendrick Ter Brugghen, Amsterdam, 2007, n°A10, reproduit pl. 10) où l’on retrouve par ailleurs dans les traits du jeune garçon de droite de fortes similitudes avec le Jacob de notre tableau.

On connaît deux autres représentations du sujet par l’artiste :
-l’une est conservée à la Gemäldegalerie de Berlin (toile, 94 x 111,5 cm, voir L. J. Slatkes et W. Franits, The paintings of Hendrick Ter Brugghen, Amsterdam, 2007, n°A1, reproduit pl. 1). Elle partage avec notre tableau la chandelle centrale mais les personnages sont en pied et la disposition des figures est inversée (Jacob, Rebecca et Isaac sont à gauche de la composition), le bâton d’Esaü est sans animaux. Les couleurs semblent plus froides, la lumière a moins d’importance.
-La deuxième version est au musée Thyssen-Bornemisza à Madrid (voir opus cité supra, n°A2, reproduit pl. 2). Le tableau (106 x 138 cm, signé H.TBrugghen) a été acquis en 1980 à Londres en provenance d’Italie. Le chandelier est le même et les figures sont inversées. Esaü porte plutôt un chevreau, la table est beaucoup moins importante et les figures sont beaucoup plus proches, presque resserrées. Les vêtements semblent plus conformes à la scène.
-On citera aussi une troisième version par Ter Brugghen et son atelier conservé au Bob Jones University Museum de Greenville (voir opus cité supra, n°W1, reproduit pl. 95). Le tableau a été refusé, et par Nicolson, et par Slatkes – Franits, il est une reprise quasiment identique du tableau de Jacopo Bassano et de son atelier que Ter Brugghen aurait pu voir en Hollande, ou directement, ou par une copie.

La datation de notre tableau doit se situer vers 1627, date où Rubens vient visiter la ville d’Utrecht. Notre tableau est très proche du Concert de la National Gallery de Londres : même triangle, même lumière (voir opus cité supra, n°A79, reproduit pl. 78). Il est remarquable par nombre de beaux détails : le père quasi aveugle sorti de la composition, la beauté des visages tournés vers la flamme, le jeu des mains qui concentrent l’action, le somptueux drapé rouge de Jacob, la touche ondulée des corps et des vêtements, et ces visages d’une rare beauté des deux garçons synonymes d’enfance et de concentration. On peut aussi noter la présence de nombreux repentirs dans ce tableau si proche et si loin de Georges de La Tour.

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